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Cousins Germain

Hugo, Laurie, Clarah et Marie Pier Germain, les cousins Germain, ont grandi dans les hôtels. Découvrez leur univers.

Par Marie-Julie Gagnon

Les trois petites têtes dépassent à peine du bar en bois, vestige du restaurant ayant appartenu à leurs arrière-grands-parents. Assis côte à côte, les bambins sirotent des Shirley Temple comme de vieux habitués. Éric, serveur au Bistango depuis 30 ans, échappe presque ses assiettes en apercevant la scène. Il a l’impression de revoir leurs parents au même âge… Il avait 17 ans quand il a été embauché par Christiane et Jean-Yves Germain. Mais où sont passées toutes ces années ?

Les trois générations de Germain sont rassemblées aujourd’hui pour dire adieu à Huguette. Pendant plus de 20 ans, cette dernière a préparé jour après jour sa célèbre tarte au sucre au restaurant Le Fiacre, que son mari et elle ont tenu dans le même bâtiment jusqu’en 1993. Elle emplissait elle-même le coffre de sa voiture du précieux butin, qu’elle livrait ensuite au restaurant. Elle n’a jamais voulu dévoiler sa recette, malgré tous les stratagèmes des clients fidèles, qui revenaient inlassablement pour s’en offrir une part à la fin de leur repas.

C’est Huguette et son mari, Victor, décédé une décennie avant elle, qui ont transmis l’amour du monde de la restauration à leurs enfants, particulièrement à Christiane et Jean-Yves. Ces derniers ont piloté le Cousin Germain et le Café Saint-Honoré avant de se lancer dans l’hôtellerie.

Le clan Germain n’est pas le seul à être attaché à ce lieu de rassemblement puisque Tristan, le fils du chef du Bistango, Sylvain Lambert, présent lors de l’ouverture du restaurant, travaille aujourd’hui aux cuisines. Oui, la famille Germain, c’est beaucoup plus que les liens du sang.

Marie Pier, petite-fille d’Huguette, regarde elle aussi la scène avec tendresse. En voyant la complicité de sa fille avec ses cousines, elle se rappelle son enfance entre ce bistro aussi raffiné que convivial et l’hôtel dans lequel il se trouve. Le Germain-des-Prés, premier établissement ouvert par sa mère et son oncle en 1988, opère aujourd’hui sous la bannière Alt. Oui, le temps a filé…

1990

— Un Bloody Caesar, s’il vous plaît ! lance la fillette qui prend place à côté d’un vieil homme à l’air bourru.

Ouvert depuis à peine deux ans, l’hôtel Germain-des-Prés voit défiler une clientèle hétéroclite. De nombreux hommes d’affaires le visitent en semaine, mais le week-end, les familles s’y arrêtent également. Monsieur B., lui, vient seul, même la fin de semaine. Il porte toujours un costume sombre et des bottes parfaitement lustrées. Ses cheveux coiffés vers l’arrière donnent l’impression qu’il est resté coincé dans les années 1960. Voilà qui détonne à une époque où les crinières se portent le plus haut et large possible !

— Bonjour Clarah, lance-t-il à la rouquine aux boucles rebelles.

Il y a un moment qu’il avait compris que toute résistance était inutile. Du haut de ses six ans, la gamine avait décidé d’en faire son confident. Son air taciturne n’avait pas semblé la rebuter le moins du monde. Rapidement, elle était parvenue à trouver la brèche dans sa carapace qui semblait couverte d’épines aux yeux des autres.

Elle le gratifie de son plus beau sourire, dévoilant ainsi un nouveau secret.

— Mais tu as perdu une dent !

Flattée que son ami ait remarqué, elle se tourne vers le serveur.

— Un Bloody Caesar pour Monsieur B. s’il vous plaît!

Le serveur s’exécute, sourire en coin. Malgré son jeune âge, et bien qu’elle consommait les siens sans alcool, Clarah connaissait sans doute mieux la carte des cocktails que bien des adultes.

— C’est à cause d’un caramel, glisse-t-elle dans l’oreille du vieil homme. En le croquant, ma dent est tombée.

De l’autre côté de la pièce, Marie Pier et Laurie espionnent l’improbable duo. Elles se demandaient bien ce que Clarah trouve à ce vieillard revêche. Quand sa sœur cadette croise son regard, toutes deux s’enfuient par la porte accordéon.

Une fois dans le lobby, les complices reprennent leur souffle. Francine, la superviseure du service à la clientèle, leur demande si tout va bien.

— Oui oui ! répond Laurie en ricanant.

— Voulez-vous faire le check-in ?

— Ouiiiiiiii !!!!!

Elles s’installent à la réception. Un couple s’avance.

— Bonjour Madame, bonjour Monsieur !

Alors que Marie Pier entre les informations dans l’ordinateur, Laurie s’occupe de la carte de crédit, sans doute la tâche qu’elle préfère. Elle adore le bruit de la machine. Tchick-a-tchick !

Le week-end, les cousins et les cousines ont l’habitude de se retrouver à l’hôtel où ils ont leurs petits rituels. Après avoir fait le tour des lieux avec l’un des parents, ils partent jouer pendant que ces derniers travaillent. L’un de leurs passe-temps favoris est sans contredit les courses de chariot. Même Hugo, un peu plus âgé que les filles, y prend encore plaisir !

Le lieu préféré du quatuor reste toutefois la buanderie. C’est jour de fête quand Jean- Yves laisse les enfants plier les serviettes et les débarbouillettes, une corvée que chacun s’applique à accomplir avec le plus grand sérieux. Chaque fois, ils comparent leurs piles pour voir laquelle s’approche le plus de la perfection. Lorsque les enfants travaillent bien, ils obtiennent la permission ultime : entrer dans l’immense sécheuse ! Non seulement celle-ci est remplie de serviettes et c’est absolument douillet, mais ils peuvent d’autant plus y sentir l’air chaud quelques instants. Le bonheur !

Alors qu’en semaine, Jean-Yves, père d’Hugo, de Clarah et de Laurie, travaille surtout du bureau, Christiane, la mère de Marie Pier, veille au grain au Germain-des-Prés. La fillette se rend directement à l’hôtel après l’école, celui-ci se trouvant à mi-chemin de sa maison, et y fait ses devoirs en attendant sa mère. Parfois, Francine la laisse répondre au téléphone et mettre les lignes en attente. Elle a alors l’impression d’accomplir une tâche de la plus haute importance.

— Bonne nuit Monsieur B !

Clarah rejoint ses cousines à la réception. Elle trouve Marie Pier et Laurie en train de classer les clés. Chacune des grosses clés rondes doit être disposée de la même manière dans son casier. Beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît !

— On va boire un Shirley Temple ? suggère Clarah une fois la tâche complétée.

— Avec plein de cerises ! renchérit Marie Pier.

2015

— Tu trouves qu’elles nous ressemblent, toi aussi ?

Marie Pier sursaute, tirée de sa rêverie. Elle aperçoit son cousin qui lui sourit. Comme elle vit à Montréal, les enfants n’ont pas aussi souvent l’occasion de jouer ensemble qu’eux à l’époque. Le moment est d’autant plus précieux.

— Te souviens-tu quand on jouait à la bouteille avec nos amis dans la petite salle, en bas ? se remémore Hugo.

— Évidemment que je m’en souviens ! Je me rappelle aussi du maître d’hôtel qui venait constamment nous avertir parce que nous faisions trop de bruit lors des partys…

Tous deux éclatent de rire.

— Le plus chouette était quand même quand on avait le droit d’inviter nos amis à souper et à dormir. Je me rappelle encore des déjeuners gargantuesques qu’on se faisait livrer à la chambre !

— Je pense qu’on cochait tout ce qu’il y avait sur le menu !

— Avec du chocolat chaud !

— Et des croissants… Je repense encore à Richard, le pâtissier français de l’époque, et son gros chapeau chaque fois que je passe près des bureaux, à côté de la buanderie, là où se trouvait la pâtisserie. Il nous laissait parfois casser des œufs, te souviens-tu ?

— C’est vrai que toi, t’étais tout le temps rendue là ! J’ai longtemps pensé que tu deviendrais chef. Tu aimais tellement aller fouiner dans les cuisines !

— Je pouvais passer des heures à observer les cuisiniers sans me lasser. Mais ton groupe et toi, vous n’êtes pas devenus les nouveaux Pearl Jam non plus, hein !

— Surtout pas avec notre unique chanson !

Hugo rigole en songeant à sa période « rock », à l’adolescence. Son père, ne reconnaissant pas l’ampleur de son talent lorsqu’il jouait de la batterie à la maison, lui avait gentiment proposé de répéter avec ses copains dans un local situé au-dessus de la banque dans le complexe hôtelier. C’est ainsi qu’était né son groupe, « Traveling Wildberries ». Il n’a aucun souvenir de l’origine de ce nom étrange, mais se rappelle parfaitement de l’effet que la musique produisait sur les filles… Leur répertoire était composé d’une seule chanson, Up on my hill, que le chanteur interprétait inlassablement en imitant la voix d’Eddy Vedder.

— J’étais moins avec vous à cette époque, poursuit-il. Il faut dire que je faisais tout le temps du snowboard.

— … et tu as commencé à travailler. Je me rappelle que tu tondais le gazon !

— J’ai aussi fait la plonge lorsque le Paparazzi a ouvert...

— Quelques années après, c’était mon tour ! J’ai été hôtesse, puis serveuse.

— Te rappelles-tu quand Clarah allait cruiser Étienne Breault à la réception ?

— Elle avait 14 ans et il en avait au moins 23 ! s’exclame Marie Pier.

Tous deux rient de bon cœur.

— On parle de moi ?

Hugo et Marie Pier se retournent et aperçoivent Clarah. S’il y en a une qui n’a pas changé d’un iota, c’est bien elle. Sauf qu’elle a maintenant toutes ses dents et préfère les hommes un peu plus de son âge.

— Quand on soupait avec nos parents au resto, je mangeais à toute vitesse pour me dépêcher d’aller lui parler à la réception, renchérit cette dernière. Il était tellement patient ! — C’était quoi, toi, ton premier emploi déjà ?

— J’ai travaillé au vestiaire du Bistango quand j’avais 15 ans, pendant l’hiver. Après, j’ai été préposée aux petits déjeuners à l’hôtel. C’est à ce moment que j’ai appris à déboucher des toilettes !

Alors qu’ils sont tous adolescents, un second hôtel, le Dominion ouvre ses portes à Québec. Hugo y occupe différents emplois.

Puis, vient le temps de choisir une carrière. L’aîné transporte ses pénates à Montréal, où il étudie en commerce à l’université Concordia. Marie Pier, elle, ressent le besoin de s’éloigner davantage. Elle opte pour le génie mécanique à l’Université Queen’s de Kingston en Ontario. Hugo complétera d’ailleurs une maîtrise là-bas quelques années plus tard. Tous deux travaillent dans les hôtels du groupe pendant leurs études. À Montréal, Hugo alterne entre les emplois de réceptionniste, de concierge, de commis, de valet, de barman… Marie Pier touche elle aussi un peu à tout au Germain Toronto. À cette époque, elle n’a pas l’intention de travailler avec sa famille, même si l’idée lui a effleuré l’esprit juste avant d’entrer à l’université.

Durant sa maîtrise, Hugo travaille comme aide-gérant chez Krispy Kreme, entreprise dont il sera à l’emploi pendant trois ans. Pendant ce temps, Marie Pier continue de chercher sa voie. Après ses études à Queen’s, elle file à Los Angeles suivre une formation pour devenir professeure de yoga. Alors qu’elle enseigne à Toronto, elle tra- vaille parallèlement dans l’entreprise familiale. Lors de la construction de l’hôtel Le Germain Calgary, elle cesse d’enseigner pour se consacrer au projet, mettant à profit ses études en génie. De fil en aiguille, elle acquiert de l’expérience et en vient à diriger le Alt Montréal, qui a ouvert ses portes en 2014.

De son côté, Hugo a été officiellement embauché comme chargé de projet lors de l’ouverture du Alt Quartier Dix30. À 28 ans, il en est devenu le directeur général. Sa première fille, Élie, est née deux semaines après l’ouverture de l’établissement de Brossard. Environ un an et demi plus tard, sa famille et lui ont choisi de retourner vivre à Québec, histoire de se rapprocher de leur famille et pour faciliter le travail d’Hugo, qui se concentrait maintenant sur le développement. Il est aujourd’hui directeur du développement au sein du Groupe.

Clarah a fait plusieurs détours avant de rejoindre l’entreprise familiale. Après des études en communications à l’Université de Montréal, elle a lancé son propre blogue, Miss Clarah, dans lequel elle partageait ses coups de cœur gastronomiques. Super- viseure de contenu à l’agence Sid Lee, elle a ensuite été directrice, nouveaux médias pour Aetios Productions. En 2015, elle joint les rangs du Groupe Germain à titre de gestionnaire, contenu et médias sociaux.

Quant à Laurie, elle a choisi d’étudier le droit à l’université d’Ottawa, avant de bifurquer vers les relations industrielles. Elle est aujourd’hui directrice des ressources humaines pour GDI Services, une entreprise qui travaille de près avec le Groupe Germain, et maman de trois magnifiques enfants.

Étienne Breault, qui a tant fait battre le cœur de Clarah, est maintenant directeur géné- ral de l’Hôtel Alt Québec. De nombreux employés du restaurant Le Bistango ainsi que des Hôtels Alt et Le Germain qui étaient là dès les tout débuts, sont toujours à l’emploi du groupe.

Pour son septième anniversaire, Margot, la fille de Marie Pier, a eu droit à une nuit à l’hôtel avec sa mère. Vêtue d’un peignoir parfaitement à sa taille, elle a déclaré qu’elle suivrait les traces de sa génitrice. Élie, l’ainée d’Hugo, hésite entre les métiers de res- tauratrice ou de femme de chambre. Un projet de stage est en discussion, mais il n’est pas impossible qu’elle fasse d’abord un détour par la buanderie. En attendant, elle se pratique sagement à faire son lit le plus souvent possible…

Les quatre enfants des fondateurs du Groupe Germain aiment tous cuisiner et plient leurs débarbouillettes à la perfection. Clarah Germain n’a pas perdu son habitude de faire la conversation aux vieux messieurs bourrus, mais elle jure ne plus draguer les réceptionnistes.

Les cousins vont parfois bruncher au Bistango, comme leurs parents 30 ans plus tôt. L’histoire ne dit cependant pas s’ils font des courses de chariots quand ils échappent à la surveillance des adultes…

Quant à la recette de tarte au sucre d’Huguette, seuls ses descendants en détiennent le secret. Elle continue de se transmettre de génération en génération, tout comme la passion pour l’hospitalité.

Cette histoire fait partie du premier tôme du livre Histoire d'Hôtels et autre lieux.

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Germain Hôtels30 avril 2018
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